La Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), institution financière publique dont l’action se fonde sur un soutien aux politiques développées par l’Etat français, agit comme un incubateur de nouveaux métiers à la croisée de l’intérêt général et de l’économie. C’est donc naturellement que le groupe s’est impliqué dans la réflexion française sur les questions relatives à l’environnement, en s’appuyant sur les compétences d’une de ses filiales, la Société Forestière de la CDC (SFCDC). Pionnière en matière de gestion financière de l’environnement par le biais de son métier de gestionnaire durable de forêts et d’espaces naturels, la SFCDC joue un rôle central dans les interventions “CO2” et “biodiversité” de la CDC.
Nouveau marché, nouveau métier Dès 1998, il est apparu évident que le projet d’un futur marché européen de quotas d’émission de CO2, prévu par le protocole de Kyoto, représentait la perspective d’un nouveau métier dans un domaine innovant. En 2001, alors que la directive définissant les conditions de mise en œuvre de ce marché pour l’Union Européenne (UE) n’est qu’en projet (1), la CDC met en place un groupe de travail transversal, la Mission Climat, avec l’objectif de réfléchir aux modalités d’une intervention potentielle du groupe sur le sujet. Ce travail en amont a permis à la France d’être au rendez-vous lors du lancement, le 5 janvier 2005, des premiers échanges européens de quotas de CO2. Un rendez-vous réussi grâce à deux aboutissements majeurs de la Mission Climat :
La création de Seringas, un logiciel informatique dédié à la tenue de registres nationaux de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (2). Adopté par l’Etat français dès 2005, Seringas est aujourd’hui utilisé par d’autres pays membres de l’UE comme l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg ou le Portugal.
La création du Fonds Carbone Européen (FCE), ayant vocation à acquérir, gérer et revendre des quotas d’émission de CO2 afin de contribuer à la liquidité du marché. Doté aujourd’hui de 142 M€, le FCE a, depuis deux ans, participé à de nombreuses opérations de réduction d’émission de gaz à effet de serre, dépassant les 15 millions de tonnes.
Le marché européen de quotas de CO2 représente à ce jour le plus important marché de son genre opérant à une échelle internationale et de bonnes raisons portent à croire en sa pérennisation: Plus de 1 milliard de tonnes de CO2 ont été échangées pour la période 2005-2007; Comme attendu, les plans nationaux d’allocation de quotas pour la période 2008-2012 sont plus restrictifs que la période test 2005-2007 (pour la France 132.8 millions de tonnes annuelles contre 153 millions); L’UE vient de s’engager à réduire unilatéralement d’au moins 20 % ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2020.
Un levier pour le financement de la biodiversité Cette réussite suggère que des outils innovants, financièrement incitatifs et fondés sur le marché peuvent contribuer d’une façon concrète et efficace aux politiques pro-environnementales. Forte de son expérience, la CDC a lancé en 2006 une Mission Biodiversité avec l’objectif d’étudier l’intérêt de tels outils pour la conservation de la biodiversité.
Il y a plusieurs façons d’aborder la question du financement de la biodiversité, mais il a semblé que, dans le cadre réglementaire français actuel, la compensation constituait un des leviers possibles d’intervention.
La compensation est une mesure de réparation des dommages faits à la biodiversité, prévue par le droit européen et français, qui impose aux maîtres d’ouvrage dont les projets ont une incidence négative sur la biodiversité de, dans un ordre hiérarchique: (1) éviter les impacts, (2) réduire les impacts non évités, (3) compenser les impacts résiduels.
La mesure compensatoire cible les impacts résiduels d’un projet d’aménagement. Elle consiste en une action positive pour la biodiversité visant à contrebalancer la perte n’ayant pu être évitée ni suffisamment réduite. En d’autres termes, il s’agit de “récupérer ailleurs ce qu’on a perdu ici”, en générant une valeur additionnelle.
La compensation se pose donc comme une source de financement potentiellement significative pour la biodiversité. Aujourd’hui en France, son utilisation reste cependant à un stade embryonnaire. Les causes sont variées mais identifiées pour l’essentiel. Elles relèvent de difficultés scientifiques et techniques (méthode d’équivalence écologique, sécurisation du foncier, contrôle et suivi à long terme, …). Elles relèvent aussi d’une difficulté plus générale, à concilier deux logiques qui ne sont pas nécessairement convergentes (3):
La logique projet, objectif principal du maître d’ouvrage dans laquelle la compensation est en marge; La logique écologique, générant des enjeux le plus souvent contradictoires à la logique projet et pour laquelle l’aménageur n’est pas dans son cœur de métier.
En conséquence, le dispositif en place ne parvient pas à répondre aux attentes. Ainsi, alors que 60 000 ha du territoire français sont chaque année artificialisés, la compensation concerne tout au plus 6000 ha / an.
Les opérateurs agréés La Mission Biodiversité réfléchit à l’élaboration d’un dispositif plus efficace de compensation, fondé sur l’idée d’une mutualisation des moyens financiers qui permettrait de conduire à long terme des actions efficaces s’inscrivant dans une stratégie globale et cohérente pour la biodiversité. Les recherches menées sur le sujet ont abouti à une proposition: la création d’un nouveau maillon, celui d’opérateurs agréés de la biodiversité.
Intervenant dans le contexte réglementaire actuel de la compensation, ces opérateurs agréés : Financeraient des actions positives pour la biodiversité, quantifiées, validées et contrôlées par les pouvoirs publics, Proposeraient, contre rémunération, ces actions positives aux maîtres d’ouvrage intéressés devant compenser les impacts résiduels de leur projet, eux-mêmes quantifiés et validés par les pouvoirs publics.
Cette proposition est inspirée de dispositifs opérant à l’étranger, notamment aux USA, sous le nom de mitigation ou conservation banking et en Australie, sous le nom de bush broker, qui ont vu l’apparition de nouveaux acteurs de la conservation. Aux USA, ce sont aujourd’hui plus de 350 000 ha qui sont par ce système assurés d’une conservation sur le long terme. Le projet de la CDC ne vise pas, cependant, à transposer directement ces dispositifs en France, pour plusieurs raisons. Entre autres, l’objectif n’est pas de créer de nouveaux acteurs de la conservation, mais d’abord d’impliquer les gestionnaires d’espaces naturels existants. Il n’est pas non plus question de transférer totalement la responsabilité finale de l’aménageur sur un tiers. Nous proposons d’agir là où la pratique actuelle française présente des faiblesses, c’est-à-dire à l’interface des aménageurs et des gestionnaires d’espaces naturels.
La création d’opérateurs agréés de la biodiversité est une proposition de la CDC qui s’intégrerait pleinement dans la Stratégie Nationale pour la Biodiversité (SNB) dont un des axes prioritaires est de “reconnaître sa juste valeur au vivant”. Ce projet est étudié en étroite collaboration avec les services de l’Etat et notamment le Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable, pilote de la SNB. Il a pour prochaine étape le lancement d’actions pilotes qui permettront de tester in situ les conditions de mise en œuvre du dispositif. Une phase expérimentale est nécessaire pour bien cerner et mesurer les avantages et limites de l’approche proposée. C’est à son terme et à l’analyse de ses résultats, que l’Etat validera, ou non, la pérennisation du dispositif, avec, si nécessaire, des adaptations.
Par son additionalité, complémentaire à la panoplie d’outils existants pour conserver le patrimoine naturel, il pourrait ouvrir la voie à une intervention plus prononcée des entreprises dans le domaine de la conservation de la biodiversité et permettrait d’améliorer sa professionnalisation.
La Mission Biodiversité de la
CDC est hébergée par la
Société Forestière de la CDC.
Brice Quenouille est Chargé de Mission,
Myriam Rondet est Responsable des Etudes & Développements Nouveaux et
Philippe Thiévent est Directeur du projet Mission Biodiversité.
(1) La directive 2003/87/UE fut adoptée en 2003.
(2)
https://www.seringas.caissedesdepots.fr (3) Constat basé sur une enquête de la CDC auprès d’acteurs clés de la compensation: Etat, collectivités territoriales, aménageurs, associations et scientifiques.
(4)
http://www.ecologie.gouv.fr/-Strategie-nationale-pour-la-.html